Pourquoi ce site ?

Les étudiants inscrits en Master 1 en communication à l’Université Paris 3, se voient chaque semestre proposer un cours intitulé : atelier d’analyse des débats médiatiques. Depuis 2005, je leur présente un ensemble d’outils permettant de rendre compte de la structuration de ce type de discours médiatiques. Une fois les éléments théoriques assimilés ils se prennent au jeu de l’analyse des émissions radiophoniques et télévisées de notre quotidien.

L'objectif est de nourrir leur regard curieux et leur esprit critique. Je ne suis jamais déçu : les résultats sont riches et intellectuellement stimulants. J’ai toujours trouvé dommage d’en être le seul destinataire.

Durant cette année universitaire 2011-12, à l’occasion de la campagne électorale, j’ai décidé d’imposer la thématique avec l’idée de partager les résultats. Je n’ai pas rencontré de résistance, même de la part d’étudiants s’intéressant relativement peu aux questions politiques, bien au contraire. Dès le départ chacun savait que le travail serait mis en commun. Il devait donc être homogène et tendre vers un même but : rendre compte de manière précise de la façon dont on nous parle.

Le fruit de ce travail – de leur travail - est disponible sur ce site. 

Merci à eux,

Nicolas Becqueret
_________________________________________________________________________

Le cadre théorique et la méthodologie de l’analyse


La reconnaissance des genres de discours est partagée par une communauté culturelle, fondée sur une familiarité des formes médiatiques. Les genres sont des types de discours relativement stabilisés, en production comme en réception, dans une communauté socio-langagière qui opèrent comme « un moyen d’établissement avec le destinataire d’un contrat de lecture qui encadre son attitude de réception mais aussi, rétroactivement, le travail de production des messages émis »[1]. Ces recherches proposent une analyse de situations radiophoniques d'interviews politiques en période de campagne électorale et une observation du niveau de la production discursive, lieu du développement de stratégies discursives.

Première étape : la situation médiatique et discursive  

Le tableau présenté ici reprend un cadre proposé par P. Charaudeau[2], que nous avons adapté à l'objet de notre recherche. Il distingue les différents éléments présents dans les situations médiatiques. On y trouve des finalités générales (informer, faire de l’audience, faire sa promotion, faire voter les électeurs…) qui amènent à construire un programme uniforme ou protéiforme. On y observe un ensemble de grands principes et des locuteurs poursuivant des finalités particulières[3]. L’enchevêtrement de ces niveaux organise ainsi des discours au sein desquels nous pouvons observons un certain nombre de récurrences de formes et de discours. 


Situation médiatique (ex.: émission de radio)

                       Finalités générales (ex. : informer)

Programme diffusé (ex. : débat politique)
ou séquence d’un programme
 (ex. séquence thématique du débat)

Niveau
situationnel

Grands principes de
la séquence
(principes, conditions,
propos qui peuvent 
 être convoqués, 
forme, etc.)

  Finalités des différents
 locuteurs (ex. : faire
adhérer à un parti
politique, vendre 
un livre, etc.)
Niveau
discursif
Activités discursives des locuteurs
(Stratégies discursives mise en œuvre)






Niveau situationnel

Les finalités correspondent à un haut niveau de généralité ou l’on retrouve les grands buts actionnels qui animent la communication médiatique : le faire savoir, le faire comprendre, le faire plaisir et le faire faire[4]. En fonction de ces effets visés plusieurs types de programmes sont proposés, composés le plus souvent de différentes séquences. Si l’attention se penche sur le niveau de la situation de communication un ensemble d’éléments qui déterminent l’enjeu de l’échange, situés dans ce que nous avons dénommé les grands principes, seront distingués : on y retrouve nécessairement les éléments dominants de la finalité générale qui vont se configurer d’une certaine manière en fonction de l’identité des partenaires conviés et des rôles langagiers attendus (expert, témoin, animateur, journaliste, etc.). Les propos pourront ainsi être égocentrés (parler de soi, ex. : témoignage) ou hétérocentrés (parler du monde, ex. : politique), on pourra raconter un évènement ou une situation (narration) ou bien être au cœur d’une visée actionnelle (faire agir). Ce sont les lieux de l’activation de la mémoire des discours, de la mémoire de situations de communication antérieures considérées comme similaires et de la mémoire des formes à activer[5]. On peut ainsi parler d’un ensemble de représentations conduisant à une routinisation des comportements langagiers.

Ces distinctions permettent d’ouvrir sur un certain nombre de questionnements concernant la normativité des discours. Par exemple : dans le journal d’actualité de quoi doit-on parler et comment doit-on en parler ? En guise de réponse on entendra que les propos doivent « faire savoir » en répondant à un principe de réalité et de vérité et, sans doute aussi de séduction (il faut que les téléspectateurs regardent). D’autre part, il s’agira majoritairement d’un discours hétérocentré (le journaliste ne parle pas de lui) cherchant à raconter le monde (narratif) et les propos témoignant la véracité des faits seront configurés sur un mode narratif égocentré. Ainsi s’ouvre ici un champ permettant d’interroger les fondements et les limites des discours journalistiques. En effet : quels sont les visées discursives au sein des différents programmes ? Le témoignage autocentré est-il dominant car considéré comme répondant à certaines exigences normatives ? Mais qui les exige ? Le public ? La rédaction ? Le service marketing ? Dans quels buts ? Etc. Ces interrogations amènent inexorablement à questionner - par l’analyse des discours produits et diffusés[6] dans les médias[7] - les représentations des grandes finalités poursuivies. Quelles sont en effet les règles explicites (sans doute liées à la déontologie journalistique) et implicites conduisant aux produits finis proposés ? Parler des problèmes qui affectent le quotidien des français ? Montrer du sensationnel ? Être le premier, avant le concurrent, à parler ce qui fait l’actualité ? Les réponses possibles à ces questions indiquent bien que le niveau situationnel est le lieu des normes partagées, le lieu des représentations des discours attendus et, plus généralement, le lieu de la justification des principes fondateurs surdéterminant les rôles langagiers que doivent endosser les différents interlocuteurs.

Niveau discursif

Les discours des locuteurs ne sont pas complètement surdéterminés par ces contraintes : ils vont en effet personnaliser leurs propos en fonction de multiples finalités. Ils peuvent par exemple tout à la fois chercher à paraître en bonne santé (nous sommes dans un jeu de représentation), à séduire (le téléspectateur, l’animateur et, pourquoi pas, un membre du public présent dans la salle), à vendre un ouvrage, à faire adhérer aux idées d’un parti politique, etc. Questionner les finalités revient à interroger les effets souhaités par les différents protagonistes de l’interaction[8].

On distingue, d’une part, les finalités in praesentia : vendre un ouvrage, faire adhérer à des idées politiques etc., on parlera alors de finalités manifestes et, d’autre part, les finalités in absentia : faire rire, faire pleurer, séduire etc., dans ce cas l’effet n’est pas annoncé explicitement, il peut être inféré ou non en réception.

Ainsi, la connaissance de la situation médiatique et la reconnaissance des finalités spécifiques vont conduire les locuteurs à produire des discours particuliers. 

Pour ce travail, nous avons observé les stratégies discursives des journalistes et des candidats. Que font-ils (questionner, répondre, expliquer, prendre position, etc.) ? Tentent-ils de transgresser les règles (règles imposées par les principes en fonction des finalités attendues) ? Si oui y parviennent-ils ? Répondre à ce type de questions nécessite une analyse fine et systématique d’un ensemble d’éléments discursifs à l’aide de grilles stables. Les variables retenues sont détaillées plus bas.

La production discursive

Endosser un rôle sur la scène médiatique est un travail actif du locuteur qui renvoie à un ensemble de stratégies aux services de finalités. Nos sujets endossaient tous les mêmes rôles : journalistes d'une part et candidat à l’élection présidentielle d'autre part. Au sein de ces contraintes les locuteurs ont personnalisé leurs rôles, par choix stratégiques.  

Les genres de discours sont constitués d’éléments discursifs récurrents et stabilisés à ces différents niveaux :

- le capital verbal, nous avons calculé les temps de parole des différents locuteurs,
- les origines des prises de parole, le locuteur peut prendre la parole de lui-même, être sollicité ou bien être autorisé à le faire,
- les types d’interventions[9] : les interventions problématisées (interventions directrices, réactives, continuatives, saltatoires, etc.) et les interventions non problématisées,
- et les actes de parole[10] regroupés en cinq grands groupes nommés sphères : la sphère de l’information, la sphère de l’évaluation, la sphère de l’interaction, la sphère contractuelle et la sphère actionnelle.

Les variables retenues pour l'analyse


Chaque groupe a observé et analysé des séquences d'émissions à partir des variables suivantes :


1. Rôles endossés des interlocuteurs: animateurs, candidats...

2. Problématisation de l'animateur : le ou les grands questionnements posés.

3. Visées discursives
Les objectifs du discours : émouvoir, expliquer, faire peur, faire comprendre etc.

4.Finalités : faire adhérer au parti politique, faire vendre, faire voter pour lui...


5. Orientations discursives :
- discours égocentré : parle de lui
- discours hétérocentré : parle du monde

6. Orientations discursives :
- narratif 
- explicatif

7. Principes généraux de l'émission

8. Relations horizontales 
relation proches ou distantes?

9. Relations verticales
Position haute ou basse?


10 Discours coopératif ou conflictuel entre les locuteurs?

11. Temps de parole

12. Nombre de prises de parole

13. Types de prises de parole : prenant sollicité, autorisé

14. dimensions dominantes du discours :
 ethos, logos, pathos?"

15. Actes informatifs autonomes :
- assertions

16. Actes sollicitants :
- questions/réponses
- demande de validation/validation + accord/désaccord
- actes traitant d'informations déjà émises : validation, réception, iteration, accord, désaccord"

17. Actes gérant la rencontre + prise de contact

18.Types d’actes interlocutifs : questions, réponses, assertions, gestion de la parole, etc.


 19. Types d'interventions :
- interventions problématisées directrices
- interventions problématisées de relance par reprise
- interventions problématisées de relance par adjonction
- interventions problématisées de relance par changement de focalisation
- interventions réactives
- interventions continuatives
- interventions saltatoires
- interventions non problématisées


20. Types d’actes interlocutifs : questions, réponses, assertions, gestion de la parole, etc.

21 Actes de parole
- actes de parole dominants de la sphère de l'information
- actes de parole dominants de la sphère de l'évaluation
- actes de parole dominants de la sphère de l'interaction
- actes de parole dominants de la sphère contractuelle
- actes de parole dominants de la sphère actionnelle


Conclusion  

Ces analyses permettent de rendre compte empiriquement des formes et des discours des journalistes et des candidats, c’est-à-dire d’observer et de comparer de manière fine les mises en scènes discursives et, ainsi, d’interroger la qualité du débat démocratique et l’équité de traitement des candidats. Nos éléments de connaissances restent encore limités, (analyses discursives partielles) et nos résultats posent sans doute autant de questions qu'ils n'apportent de réponses. On notera cependant que les résultats présentés sur ce site tentent de rendre compte en toute objectivité du traitement de la parole médiatique des candidats car à chaque étape, cette méthodologie s’appuie sur des garanties de falsification. Et analyser les discours politiques sans donner son avis et sans prendre position n'est pas chose facile, surtout durant la période des élections présidentielles!


Nicolas Becqueret
________________________________________
[1] Lochard Guy, Boyer Laurent 1995 : p. 100, Notre écran quotidien, Une radiographie du télévisuel, Paris : Dunod.  
[2] Charaudeau, Patrick, 1995, « Le dialogue dans un modèle de discours », Cahiers de linguistique française, No 17, Genève. 
 [3] Eléments proposés par Lochard Guy et Soulages Jean-Claude, 1998 : p. 101, La communication télévisuelle, Paris : Arman Colin et les croisons avec un ensemble d’éléments théoriques développés par P. Charaudeau depuis 1995 que nous adaptons notre objet. 
 [4] Notions distinguées par Lochard Guy, Soulages Jean-Claude, 1998, p. 98, La communication médiatique, Paris : Arman Colin.  
[5] Notions définies par Charaudeau, Patrick, 2001, « Visées discursives, genres situationnels et construction textuelle », in Actes du colloque de Toulouse sur Textes, types et genres, Toulouse.  
 [6] Une autre démarche de recherche pourrait consister à observer les discours de justification de la profession.
[7]
On laissera volontairement de côté les discours de justifications des acteurs de l’information médiatique pour ne retenir que la production attestée.
[8]
Charaudeau Patrick, 1997 : 68-69, Le discours d’information médiatique, Paris : Nathan.
[9]
Croll Anne, 1993, 125-143, Psychologie Française, Chabrol Claude (dir), tome 38-2, Paris.
[10]
Chabrol, Claude, Bromberg, Marcel, 1999, 291-306 - Préalable à une classification des actes de parole - « L’interaction et ses processus d’influences », Paris : Psychologie française, t.44.4.


Licence Creative Commons
contact : nicolasbecqueret@gmail.com
Les contenus de ce site sont mis à disposition selon les termes suivant de la licence Creative Commons :
Attribution : vous devez attribuer les contenus après avoir demandé l'autorisation.
Pas d’utilisation commerciale : vous n'avez pas le droit d'utiliser ces contenus à des fins commerciales.
Partage à l'identique : si, après autorisation, vous adaptez ces contenus, vous n'avez le droit de distribuer votre création que sous une licence identique ou similaire à celle-ci.