Jean-Jacques Bourdin et Marine le Pen


Le 19 mars 2012

1.      Jean-Jacques Bourdin, un animateur à l'écoute de ses invités mais provocateur implicite.

Personne ne sait réellement de quel bord politique est Jean-Jacques Bourdin. C’est un journaliste habituellement identifié comme provocateur par les auditeurs et téléspectateurs. Cependant, on peut voir dans cette intervention une réelle écoute de sa part envers son invité. A d’autres occasions également lors de cette campagne présidentielle, par exemple avec François Hollande, il laisse ses invités politiques s’exprimer quel que soit leur parti. Dans cette séquence, il laisse ainsi parler Marine Le Pen qui défend les grandes lignes de son programme et reste sur ses positions. Il remplit donc son rôle de journaliste qui sollicite la parole de son invité.

Néanmoins, il réendossera, dans l'extrait sur l'immigration que nous analyserons plus précisément dans une seconde partie, son rôle de provocateur, mais de manière assez subtile. Il essaiera implicitement de dérouter son interlocutrice, de lui faire dire des choses qu’elle n’a pas dites, pour la « piéger ». Pour cela, il interprète autrement ce qu’elle dit pour obtenir d’elle ce qu’il a envie d’entendre. On sent alors ici que ce sont ses convictions sur le thème de l’immigration qui prennent le dessus sur son rôle de journaliste, on voit vraiment que c'est un sujet qui lui tient à cœur.

Il reste par ailleurs un journaliste très direct qui maîtrise très bien son domaine en posant des questions claires et précises qui impliquent des réponses de même type. Pour autant, Bourdin n’apparaît pas comme un provocateur virulent dans cette interview. D'habitude, Bourdin est un provocateur opposant, qui juge et blâme voire critique et accuse.

Mais ici ce n'est pas du tout le cas, il ne renvoie donc pas toujours l’image qu’on lui donne. Cela remettrait-il alors en cause le contrat de communication?

2.      Marine Le Pen, figure forte de cette campagne

Marine Le Pen est une candidate au caractère très fort. Elle ne se laisse jamais déstabiliser et a souvent tendance dans ses réponses à utiliser un vocabulaire qui marque. Elle s’appuie constamment sur les propos de grandes personnalités dans cette interview comme le Général de Gaulle. Elle emploie entre autres des figures de style comme la métaphore, l’énumération, l’anaphore, pour accentuer ses propos ; à titre d’exemple : « la France est le pays d'Europe qui accueille le plus de droits d’asile (...), le plus de visas, le plus d’étudiants, le plus de tout », « Moi je dis stop (…), stop (…) stop(…) », « Bayrou encore, Sarkozy encore (…), Mélenchon encore encore encore ».
On peut aussi remarquer qu’elle insiste beaucoup sur ses fins de phrases afin que ses réponses aient plus d'impact sur les auditeurs. Autre que son langage fort persuasif, elle use également d’un langage corporel pour s’exprimer. Cela s’illustre dans les images ci-dessous :

Au début de son discours, Marine Le Pen se pose en tant que victime d'une injustice dans cette campagne : « on m’a empêchée, on m’a freinée », voire en tant que martyr (« Jeanne d’Arc sur le bûcher »). Elle considère être seule contre tous dans cette élection. Puis elle se montre puissante :

« J’ai des tas de personnes autour de moi, des experts, des politiques, j’ai 40 conseillers (…) ».  Elle se représente de plus comme la candidate de la patrie, de la nation, c'est elle qui va combattre le système

On peut entre autres noter qu’elle tient un discours qui est perpétuellement fondé sur des données, des chiffres, des statistiques, pour accréditer ses propos ; elle rapporte des preuves qui ne peuvent être remises en question.
Ce qui nous a interpellées dans l’intervention de Marine Le Pen c’est qu’elle ne répond pas directement aux questions de Bourdin. Elle détourne un peu ses réponses, elle a tendance à  rebondir sur des sujets qui ne sont pas forcement impliqués par la question que lui pose Boudin.
On peut aussi constater dans la séquence analysée qu’elle a souvent recours à des accusations contre ses concurrents : accusation contre Sarkozy « il est dramatique, je le dis aujourd’hui, dramatique », ou encore contre ses autres adversaires tels que Bayrou, Mélenchon, Hollande, Eva Joly. Elle remet constamment en cause leur programme ainsi que leurs positions.
Elle utilise l’ironie lorsque Bourdin lui parle des autres candidats pour mieux les rabaisser ; c’est  une sorte de moquerie pour remettre en question la crédibilité de ses adversaires et se mettre en avant. C’est aussi sa manière de montrer qu’elle est en désaccord avec ses opposants.

Ce qui a également attiré notre attention dans l’intervention de Marine Le Pen, c’est sa tendance à l’usage du pronom «  je »  quand il s’agit de l’action : « je leur donne de l’ordre, je fais la guerre, je coupe les pompes aspirantes, j’arrête tout ce qui attire légalement, je supprimerai de la loi ». A l’inverse, elle utilise le « on » pour établir des constats : « on a quand même un élément, on a aucun espoir ».

On peut aussi relever dans cette interview qu’à plusieurs reprises, Marine Le Pen est coupée par J.J Bourdin qui essaie de lui faire dire des choses qu’elle n’a pas forcément dites, ou obtenir la réponse qu’il attend d’elle. Mais la forte personnalité de la candidate fait qu’elle ne se laisse pas déstabiliser ni influencer. Même quand Bourdin cherche à l’attaquer ou la piéger, elle réussit toujours à imposer son point de vue, son opinion. Exemple, « Marine : Je les condamne - Bourdin : le moindre fumeur en prison ?  « Mais pas en prison pourquoi vous dites ça…Déjà les grands dealers n’y vont pas ! ».

D’ailleurs, le monopole du temps de parole dans cette intervention est davantage tenu par Marine Le Pen.
Cependant malgré des petits accrochages, des contradictions, des désaccords en terme général, chaque interlocuteur est à l’écoute de l’autre.  

3.      Un réel échange.

Nous sommes finalement dans un échange, une discussion, dans l'écoute de la parole de l'un et de l'autre qui se retrouvent dans un rapport de coopération. Il y a interaction entre les deux locuteurs, lesquels réagissent, que ce soit pour affirmer ou réfuter, sur chaque chose dite. En ce sens, on peut dire qu'il y a reconnaissance et respect des rôles endossés, donc symétrie au sein de ce contrat de communication. J.-J. Bourdin laisse Marine Le Pen s'exprimer, qu'il soit en accord ou pas avec ses idées - et bien que l'on sente son désaccord à propos de l'immigration. Il lance des thèmes par interventions directrices le plus souvent à l'aide de questions, et remplit donc son rôle d'intervieweur. Conforme à son rôle d'interviewée, Marine Le Pen y répond, mais parfois aussi elle en profite pour tourner le sujet vers elle, elle se l'approprie. Cela provoque des digressions tout en restant ancré dans les cadres thématiques instaurés par Bourdin.
Ce dernier ailleurs accepte le rôle de victime de cette campagne que la candidate FN aime à se donner - et ce dans toutes les interviews et meetings qu'elle livre – puisqu'il rebondit sur ces nouveaux sujets pour les valider, les réfuter, en relancer d'autres ou en demander des précisions. Nous sommes donc ici dans un échange d'idées où la balle rebondit dans les deux camps.

Malgré tous ces échanges et la vitesse parfois à laquelle l'un rétorque à l'autre, chacun des interlocuteurs garde ses idées et il n'y a aucune influence entre les deux. Nous sommes dans une totale régularisation favorable au respect du contrat de communication installé entre les deux personnes, chacun admettant qu'il est présent dans cette situation énonciative pour échanger des idées antithétiques. Marine Le Pen et Bourdin ont néanmoins leur propre mode de discussion voire d'expression. Elle est plutôt dans l'exagération, l'emphase, le détour parfois, lui est plutôt dans le vif, le court, le concis ; et pourtant, nous assistons ici à l'exposition de deux personnalités diamétralement opposées qui parviennent à s'écouter, échanger et se respecter.

Le contrat de communication est donc respecté sur l'ensemble de la séquence, mais nous pouvons tout de même remarquer un basculement dans l’extrait sur l'immigration que nous allons analyser. C'est d'ailleurs pour cela que nous l'avons choisi. Ils sont dans la discussion tout au long de la séquence, mais dans l'extrait étudié, nous verrons par l'analyse des actes interlocutifs et des formes d'interventions que Bourdin se laisse dépasser par ses idées et positions. C'est en ce sens qu’il finit par débattre avec elle pour imposer son point de vue, même s'il ne l'exprime pas ouvertement. Cependant, le débat ne virera pas à la dispute car dans leurs désaccords, ils savent rester à l'écoute l'un de l'autre.
  
DEUXIEME PARTIE

Étude détaillée d'un extrait :
La question de l'immigration (10:57 – 14:45).

1.      Le rôle :
Jean-Jacques Bourdin incarne le rôle d’animateur de radio et surtout celui d’un journaliste qui maîtrise très bien son domaine. Son rôle est de solliciter la parole de son invité pour obtenir des informations.
L’invité Marine Le Pen a quant à elle le rôle de l’interviewée. Elle adopte une posture de candidate aux présidentielles très experte dans son domaine, qui maîtrise très bien son sujet, et au caractère très fort. On voit dans cette séquence que rien ne peut la déstabiliser.

2.      Domaine de pratique sociale :
Il s’agit d’une émission de radio qui relève de l’actualité, elle est présentée sous forme d’interview diffusant des informations relatives à l’actualité politique.

3.      Principes
On parle de quelque chose de réel avec sérieux. L’invité Marine Le Pen donne son opinion et défend sa position en s’appuyant sur des propos avérés. J.J Bourdin doit jouer son rôle de journaliste qui pose des questions sérieuses et sollicite l’invité à donner son avis avec vérité.

4.      Finalités
Pour J.J Bourdin, il s’agit de faire de l’audience et d’informer les auditeurs sur certaines thématiques concernant l’actualité politique.
La finalité de Marine le Pen consiste à défendre sa position, convaincre et séduire les électeurs. Il s’agit tout simplement de faire son travail de candidate aux élections présidentielles.

  5. Visées discursives :
J.J .Bourdin endosse bien son rôle de journaliste ; il pose des questions, son but est de pousser l’autre à dire, de faire parler son invité afin d’obtenir des informations. On peut aussi remarquer que dans certains passages, il contredit Marine Le Pen à plusieurs reprises, mais elle ne se laisse jamais déstabiliser. Elle répond d’ailleurs aux questions de façon très claire et en ayant elle l’air très sûr des réponses qu’elle apporte. Il s’agit pour elle de persuader Bourdin de ses arguments, et de convaincre les électeurs de voter pour elle.

6. Orientations discursives :
J.J Bourdin tient un discours informationnel, il pose des questions à son invité afin d’informer les auditeurs sur son programme ; c’est un discours hétéro-centré et explicatif.
On peut considérer le discours de Marine le Pen  informationnel et hétéro-centré lorsqu’elle parle de l’état de l’immigration en France et des positions de ses adversaires politiques à ce sujet, mais aussi auto-centré lorsqu'elle annonce son programme de restriction du solde migratoire. Néanmoins, son discours reste explicatif.

7. Relation horizontale :
La relation entre les deux interlocuteurs est de moins en moins cordiale. Dès le début de la discussion, Marine le Pen est en désaccord total avec J.J Bourdin ; à titre d’exemple, lorsqu’il introduit la question de l’immigration : « Pourquoi la France est l’un des pays d’Europe qui accueille le moins d’immigrés ? » -  Marine Le Pen répond : « Ah non, ah non non non c’est l’inverse  ». Ce désaccord va devenir permanent dans l’extrait et donc faire monter crescendo la tension entre les deux interlocuteurs.

8. Relation verticale :
Au début, on note la volonté de J.J Bourdin de se mettre sur un pied d’égalité avec son invité. Il pose ainsi des questions auxquelles Marine Le Pen répond mais au bout d’un moment, elle prend la parole et la monopolise et ne laisse plus Bourdin finir ses questions. Elle prend alors une position haute, ce qui laisse à Bourdin la position basse.

9. Coopératif ou conflictuelle :
La relation entre Bourdin et Marine Le Pen était au départ basée sur la coopération, mais devient ici plutôt conflictuelle. On peut voir dans cette séquence des passages où les deux interlocuteurs se contredisent sans cesse. Nous sommes dans un vrai débat d’idées opposées. Mais Marine Le Pen s’impose à chaque fois et ne se laisse jamais influencer. Malgré un climat plutôt tendu, les deux interlocuteurs parviennent tout de même à s’écouter.

10. Temps de parole et nombre d’interventions :

Election 2012 CHEZ J.JB
J.JBOURDIN
Marine le Pen
Totale
Temps de parole
00:01:34
00:03:21
00 :04 : 55
Nombre d’intervention
21
26
47

Dans la prise parole, on remarque que le temps le plus long revient à l’invité Marine Le Pen. En plus d’accaparer le temps de parole, la candidate intervient davantage que J.J.Bourdin.

11. Type de prise de parole :
Au début, Bourdin respecte son rôle de journaliste en posant des questions, il prend donc la parole. Il la donne ensuite à son invité. La parole est donc sollicitée pour Marine le Pen qui attendait qu’on lui pose des questions, puis vers la fin, on voit qu’elle la prend d’elle-même sans y être invitée. Elle enchaîne ses réponses, coupe Bourdin et le laisse à peine achever ses questions.


12. Dimension dominante du discours :
   Pour le journaliste J.J Bourdin, c’est le  logos, il nous parle de l’actualité, il interroge son invité pour avoir des informations.
     Pour Marine Le Pen, son discours s’apparente au logos lorsqu'elle expose la situation de l'immigration en France, et à l’ethos quand elle parle de son programme et des mesures qu’elle a l’intention de prendre : « Moi stop, je coupe les pompes aspirantes, j’arrête tout ce qui attire légalement ».

13. Actes informatifs autonomes : « assertions » :
Les deux interlocuteurs apportent de l’information sur les sujets de l’immigration en France, en s’appuyant sur des preuves, chiffres,  statistiques etc.
14. Actes sollicitants : questions/réponses :
J.J Bourdin pose des questions, il sollicite son invité à prendre la parole. Dans cette séquence, Boudin interroge Marine Le Pen  sur la question de l’immigration sur le territoire Français.
Marine Le Pen quant à elle répond aux questions ; au départ, on avait remarqué que la candidate attendait que le journaliste l’invite à prendre la parole puis vers la fin, Marine devient plutôt prenante.
15. Actes sollicitants :

Il y a une demande de validation par une question de la part de Bourdin qui tente d'obtenir l'accord de Marine Le Pen à propos de la chance de la France d'accueillir des immigrés. Il n'obtient en réponse qu'un double désaccord de sa part « Ah non, ah non non non » lorsqu'il lui demande ensuite pourquoi la France est le pays en accueillant le moins, parfois même une absence de réponse, quand elle répond sous un autre angle d'attaque (bien que la thématique reste la même).

16. Actes traitants d'informations déjà émises :

Toujours à propos des immigrés, Bourdin réitère avec insistance (« tous les chiffres disent ») le nombre d'immigrés présents en France, qui correspond à celui du solde migratoire soit 60 000 (« deux cent trois mille encore une fois ce n'est pas le solde migratoire, je le rappelle parce qu'il y a des étrangers qui quittent la France chaque année, vous le savez bien Marine Le Pen ; non mais parce qu'on dit toujours deux cent mille, deux cent mille, mais en fait c'est pas ça » à 13:35). Marine Le Pen, en total désaccord, ne valide pas une seule fois ses propos en réception et reste sur ses positions quant au trop grand nombre d'étrangers entrant dans le pays selon elle, peu importe le nombre de ceux qui repartent.

17. Actes gérant la rencontre :

Il n’y en pas dans cet extrait. Le contact a déjà été établi au début de l'interview ; l'extrait choisi nous plonge directement dans le vif du sujet : la question de l’immigration.

18. Interventions problématisées

- directrices : C'est Bourdin qui ouvre le domaine thématique de l'immigration. Le thème de parole est lancé et si parfois Marine Le Pen répond, coupe ou prolonge Bourdin avec ses digressions (par exemple lorsqu'elle mentionne l'aide médicale d’État, la loi de 73, le questionnaire d'obtention de la naturalisation française), on reste néanmoins en adéquation avec la thématique initiale.

- de relance par reprise : Bourdin revient sur les propos dits par Marine Le Pen pour essayer de les retourner contre elle, ou bien pour lui faire dire ce qu'il a envie d'entendre. La candidate revient également sur les propos du journaliste pour y répondre, mais même s'il s'agit de contre-propositions, elle parvient toujours à se les réapproprier pour servir son argumentation.

- de relance par adjonction : Bourdin relance Marine Le Pen par adjonction, pour rappeler à plusieurs reprises les chiffres de l'immigration qu'il a annoncés à l'ouverture de la thématique. Il ne cesse de revenir dessus. Ces adjonctions ne parviennent pas à la faire changer d'avis sur le sujet, ni même à lui faire comprendre qu'elle se trompe avec les 200 000 immigrés présents selon elle en France (« quelle est la différence, c'est-à-dire que vous avez des immigrés qui repartent et qui quittent la France » soulignera Bourdin à 12:35).

- de relance par changement de focalisation : Par ses réponses digressives aux questions de Bourdin, Marine Le Pen lance de nouveaux sujets appartenant à cette même thématique de l'immigration (comme évoqués précédemment : l'aide médicale d’État à 12:02, la croissance de l'immigration depuis 73 à 12:39, et les questionnaires de naturalisation à 14:20), ce qui fait évoluer le débat. Celui n'avance ainsi que par désaccords entre les locuteurs, mais de manière logique et déductive. Cependant, il peut être étonnant de voir ici que c'est l'interviewée et non le journaliste qui ouvre sur de nouveaux sujets de débat au sein de la thématique de départ.

19. Interventions réactives :

Chacun des deux réagit ainsi à un moment sur un sujet lancé par l'autre.
- Lorsque Marine Le Pen défend l'idée que la France est le pays qui accueille le plus d'immigrés, elle cite Eric Besson (11:10) en tant qu'argument d'autorité pour accréditer ses propos. Bourdin réagit alors par une question, lui demandant s'il est sa référence en matière d'immigration pour tenter de fragiliser son raisonnement et obtenir d'elle un contre-sens. Mais Marine Le Pen ne se laisse pas déstabiliser. Elle répond en parvenant à ancrer cette intervention dans sa propre argumentation pour mieux la servir : « Il a été ministre de l'immigration, il est bien placé pour savoir de quoi il parle ! ».
- A l'inverse, quand Bourdin précise qu'il s'agit ici d'immigration régulière (11:47), Marine Le Pen intervient avec une contre-assertion : « Ah oui parce que les immigrés en situation clandestine on n'en strictement sait rien ! » dit-elle avec ironie. En ce qui la concerne d'ailleurs, c'est l'ironie qu'elle utilise pour essayer de démontrer que les propos de son interlocuteur n'ont pas de sens.
- Ensuite, lorsque Marine Le Pen énumère les candidats favorables à l'entrée d'immigrés en France, Bourdin la coupe par une question pour compléter son assertion : « Et vous stop ? Comment ? » (13:10).
- Enfin, Bourdin rappelle le nombre du solde migratoire à 13:35. La candidate l'interrompt donc par intervention réactive avec une contre-proposition : «  Il y a beaucoup moins d'étrangers qui quittent la France que d'étrangers qui y restent ça c'est une certitude, trente mille régularisations de clandestins par an ». Les interventions réactives s'enchaînant, on en arrive à des tours de parole très élevés pour les locuteurs avec en revanche un temps de parole très court pour le journaliste.

20. Interventions continuatives :

 Aucune intervention continuative car ni Marine Le Pen ni Bourdin ne prolongent l'intervention de l'un ou de l'autre après l'avoir coupé.

21. Interventions saltatoires :

 Aucune intervention saltatoire. Les deux locuteurs se coupent en effet par interventions problématisées de relance par adjonction, par reprise et changement de focalisation et aussi en particulier par interventions réactives, mais ils ne s'ignorent pas. Leur parole ne sert, qu'elle questionne le récepteur, valide ou invalide celle de l'émetteur, qu'à nourrir le débat. De fait, nous n'entrons pas dans la dispute dans cette interview.

22. Interventions non problématisées 

Aucune intervention non problématisée puisque nous sommes ici dans un débat où bien sûr Marine Le Pen défend ses idées, ce qui est normal en période de campagne électorale. Mais Bourdin, qui devrait, en tant qu'intervieweur, rester neutre, va pourtant laisser sa propre opinion s'exprimer comme le montrent ses interventions problématisées de relance par adjonction à propos du solde migratoire le trahissant. On sent bien que s'il insiste, c'est parce qu'il n'est pas en accord avec les idées de la candidate du FN à ce sujet, entre autres.

23. Actes de parole dominants

- de la sphère de l’information :
Les actes de paroles dominants de la sphère de l’information sont la question pour J.J Bourdin qui sollicite l’information auprès de son invité, et la réponse pour Marine Le Pen.

- de la sphère de l’évaluation :
Bourdin est dans la demande de validation dans cette séquence, mais n’obtient que des réactions de désaccord de la part de Marine Le Pen. En effet, ils ne partagent pas le même avis sur le fait que la France est le pays qui accueille le moins d’immigrés, ni sur le nombre d’immigrés présents en France.

- de la sphère de l’interaction :
Les deux interlocuteurs ne sont donc pas d’accord dans leurs propos et leur position qu’ils tentent de défendre, mais ils acceptent tout deux de débattre pour échanger des idées opposées. Les actes interlocutifs traitant d’information déjà émises avec désaccord en réception sont donc dominants.

- de la sphère contractuelle :
Bourdin tente de poser des questions et des demandes de validation sans pouvoir aller au bout de ses phrases car Marine Le Pen l’interrompt et monopolise le temps de parole.

- de la sphère actionnelle :
Il n’y a pas d’actes dominants relevant de la sphère actionnelle dans cet extrait.

24. Synthèse

Bourdin ne reflète pas ici son image habituelle de provocateur opposant. Il remplit son rôle de journaliste avec ses questions, demandes de validations (qu’elles soient obtenues ou non) et interventions de relances en prenant le temps d’écouter Marine Le Pen, même s’il n’est pas du même avis. On sent néanmoins qu’il laisse ses convictions personnelles prendre le dessus sur son statut de simple intervieweur à propos du solde migratoire et de la chance pour la France d’accueillir des immigrés.
Quant à Marine Le Pen, elle réussit ici à s’approprier le débat qu’elle domine. C’est elle qui est ici en position haute en réagissant avec des désaccords qu’elle se réapproprie pour défendre ses idées et mieux servir son argumentation. En effet, sa parole au début est plutôt sollicitée, puis elle la prend comme le montrent les interventions réactives mais aussi les interventions de relance par changement de focalisation où elle aborde de nouveaux sujets au sein de la thématique initiée par Bourdin. Et Bourdin la lui laisse. Elle ne se laisse pas déstabiliser par le journaliste qui pourtant devrait lancer les sujets, elle parvient tout au long de la séquence à mener le débat et à faire preuve de conviction.

CONCLUSION

Ainsi, nous pouvons conclure ce travail en ouvrant sur une perspective présidentielle. Marine Le Pen dans cette interview a su défendre son programme et ses idées, et ne s'est pas laissée influencer par les légères provocations de Jean-Jacques Bourdin. Même si celui-ci s'est montré moins virulent qu'à son habitude et que Marine Le Pen l'attendait peut-être plus incisif, notamment parce qu'elle est la candidate d'extrême droite, il n'en reste pas moins que le contrat de communication n'est pas totalement remis en cause du point de vue du message. Il est établi que les deux interlocuteurs échangeront des idées opposées dans un débat, s'étant mis d'accord pour s'affronter sur un principe de régulation et défendre leur position tout en ne se laissant pas influencer et en s'écoutant. Il y a de ce point de vue symétrie peut-être pas dans les discours, mais dans la reconnaissance des rôles endossés. Restant ainsi à l'écoute l'un de l'autre et rebondissant sur les interventions de chacun, on reste dans une intercompréhension où les propos gardent leur pertinence discursive mais contextuelle également.
 Il est vrai que dans l'extrait sur l'immigration Marine Le Pen semble prendre le dessus, comme le prouvent le temps de parole ou ses relances par adjonction qui font évoluer le débat en ouvrant de nouveaux sujets au sein du même thème. C'est pourquoi le contrat de lectorat est lui plus difficile à valider du point de vue de la réception pour les habitués du Bourdin qui s'oppose, critique et accuse. Marine Le Pen se présente ici, dès le 19 mars, comme la figure forte de cette campagne présidentielle, mise à l'écart par ses adversaires, candidate de la patrie, celle qui n'a pas peur de révéler les vraies causes de l'état actuel de la France, candidate redoutée parce que justement elle est l'unique à combattre ce système. Au-delà de ses talents de rhétorique face au journaliste, cette posture adoptée de candidate redoutée et mise à l'écart semble aujourd'hui s'être confirmée. Ayant atteint près de 18% des voix au premier tour, considérées comme un celles d'un vote « de crise et de protestation », il semblerait qu'il fallait effectivement la redouter. Son programme, ses idées, ses stratégies de discours ont fonctionné et les Français ont cru en elle. Dans cette interview avec Bourdin, elle est sur la défensive, répond en restant uniquement sur ses positions, ne flanche jamais et s'approprie toutes les interventions de tout type pour servir son argumentation. Nous pouvons alors prétendre que c'est un peu cette Marine Le Pen que les auditeurs attendaient et ont voulu pousser sur le devant de la scène politique. Il n'est peut-être donc pas étonnant que Bourdin se montre à l'écoute ; et en ce sens, on peut valider le contrat de communication instauré entre Bourdin et Marine Le Pen, mais aussi le contrat de lectorat passé entre l'émission de Bourdin et ses auditeurs/spectateurs.