Le 19 mars 2012
1. Jean-Jacques Bourdin, un animateur à l'écoute de ses invités mais provocateur implicite.
1. Jean-Jacques Bourdin, un animateur à l'écoute de ses invités mais provocateur implicite.
Personne ne sait réellement de quel
bord politique est Jean-Jacques Bourdin. C’est un journaliste
habituellement identifié comme provocateur par les auditeurs et
téléspectateurs. Cependant, on peut voir dans cette intervention une réelle
écoute de sa part envers son invité. A d’autres occasions également lors de
cette campagne présidentielle, par exemple avec François Hollande, il laisse
ses invités politiques s’exprimer quel que soit leur parti. Dans cette
séquence, il laisse ainsi parler Marine Le Pen qui défend les grandes lignes de
son programme et reste sur ses positions. Il remplit donc son rôle de
journaliste qui sollicite la parole de son invité.
Néanmoins, il réendossera, dans l'extrait sur l'immigration que nous analyserons plus précisément dans une seconde partie, son rôle de provocateur, mais de manière assez subtile. Il essaiera implicitement de dérouter son interlocutrice, de lui faire dire des choses qu’elle n’a pas dites, pour la « piéger ». Pour cela, il interprète autrement ce qu’elle dit pour obtenir d’elle ce qu’il a envie d’entendre. On sent alors ici que ce sont ses convictions sur le thème de l’immigration qui prennent le dessus sur son rôle de journaliste, on voit vraiment que c'est un sujet qui lui tient à cœur.
Il reste par ailleurs un journaliste très direct qui maîtrise très bien son domaine en posant des questions claires et précises qui impliquent des réponses de même type. Pour autant, Bourdin n’apparaît pas comme un provocateur virulent dans cette interview. D'habitude, Bourdin est un provocateur opposant, qui juge et blâme voire critique et accuse.
Mais ici ce
n'est pas du tout le cas, il ne renvoie donc pas toujours l’image qu’on lui
donne. Cela remettrait-il alors en cause le contrat de communication?
2. Marine Le Pen, figure forte de cette campagne
Marine
Le Pen est une candidate au caractère très fort. Elle ne se laisse jamais
déstabiliser et a souvent tendance dans ses réponses à utiliser un vocabulaire
qui marque. Elle s’appuie constamment sur les propos de grandes personnalités
dans cette interview comme le Général de Gaulle. Elle emploie entre autres des figures de style comme la métaphore,
l’énumération, l’anaphore, pour accentuer ses propos ; à titre
d’exemple : « la France est le pays d'Europe qui accueille le plus de
droits d’asile (...), le plus de visas, le plus d’étudiants, le plus de tout », « Moi je dis stop (…), stop (…)
stop(…) »,
« Bayrou encore, Sarkozy encore (…), Mélenchon encore encore encore ».
On peut aussi remarquer qu’elle
insiste beaucoup sur ses fins de phrases afin que ses réponses aient plus
d'impact sur les auditeurs. Autre que son langage fort persuasif, elle use
également d’un langage corporel pour s’exprimer. Cela s’illustre dans les
images ci-dessous :
Au début de son
discours, Marine Le Pen se pose en tant que victime d'une injustice dans cette
campagne : « on m’a empêchée, on m’a freinée », voire en tant
que martyr (« Jeanne d’Arc sur le bûcher »). Elle considère être
seule contre tous dans cette élection. Puis elle se montre puissante :
« J’ai des tas de personnes
autour de moi, des experts, des politiques, j’ai 40
conseillers (…) ». Elle se
représente de plus comme la candidate de la patrie, de la nation, c'est elle
qui va combattre le système
On peut entre autres noter qu’elle tient un discours qui est perpétuellement fondé sur des données, des chiffres, des statistiques, pour accréditer ses propos ; elle rapporte des preuves qui ne peuvent être remises en question.
Ce qui nous a interpellées dans
l’intervention de Marine Le Pen c’est qu’elle ne répond pas directement aux
questions de Bourdin. Elle détourne un peu ses réponses, elle a tendance à rebondir sur des sujets qui ne sont pas
forcement impliqués par la question que lui pose Boudin.
On peut aussi constater dans la
séquence analysée qu’elle a souvent recours à des accusations contre ses
concurrents : accusation contre Sarkozy « il est dramatique, je le
dis aujourd’hui, dramatique », ou encore contre ses autres adversaires
tels que Bayrou, Mélenchon, Hollande, Eva Joly. Elle remet constamment en cause
leur programme ainsi que leurs positions.
Elle utilise l’ironie lorsque
Bourdin lui parle des autres candidats pour mieux les rabaisser ;
c’est une sorte de moquerie pour
remettre en question la crédibilité de ses adversaires et se mettre en avant.
C’est aussi sa manière de montrer qu’elle est en désaccord avec ses opposants.
Ce qui a également attiré notre attention dans l’intervention de Marine Le Pen, c’est sa tendance à l’usage du pronom « je » quand il s’agit de l’action : « je leur donne de l’ordre, je fais la guerre, je coupe les pompes aspirantes, j’arrête tout ce qui attire légalement, je supprimerai de la loi ». A l’inverse, elle utilise le « on » pour établir des constats : « on a quand même un élément, on a aucun espoir ».
On peut aussi relever dans cette
interview qu’à plusieurs reprises, Marine Le Pen est coupée par J.J Bourdin qui
essaie de lui faire dire des choses qu’elle n’a pas forcément dites, ou obtenir
la réponse qu’il attend d’elle. Mais la forte personnalité de la candidate fait
qu’elle ne se laisse pas déstabiliser ni influencer. Même quand Bourdin cherche
à l’attaquer ou la piéger, elle réussit toujours à imposer son point de vue,
son opinion. Exemple, « Marine : Je les condamne - Bourdin : le
moindre fumeur en prison ?
« Mais pas en prison pourquoi vous dites ça…Déjà les grands dealers
n’y vont pas ! ».
D’ailleurs, le monopole du temps
de parole dans cette intervention est davantage tenu par Marine Le Pen.
Cependant malgré des petits
accrochages, des contradictions, des désaccords en terme général, chaque
interlocuteur est à l’écoute de l’autre.
3. Un réel échange.
3. Un réel échange.
Nous sommes finalement dans un
échange, une discussion, dans l'écoute de la parole de l'un et de l'autre qui
se retrouvent dans un rapport de coopération. Il y a interaction entre les deux
locuteurs, lesquels réagissent, que ce soit pour affirmer ou réfuter, sur
chaque chose dite. En ce sens, on peut dire qu'il y a reconnaissance et respect
des rôles endossés, donc symétrie au sein de ce contrat de communication.
J.-J. Bourdin laisse Marine Le Pen s'exprimer, qu'il soit en accord ou pas avec ses
idées - et bien que l'on sente son désaccord à propos de l'immigration. Il
lance des thèmes par interventions directrices le plus souvent à l'aide de questions,
et remplit donc son rôle d'intervieweur. Conforme à son rôle d'interviewée,
Marine Le Pen y répond, mais parfois aussi elle en profite pour tourner le
sujet vers elle, elle se l'approprie. Cela provoque des digressions tout en
restant ancré dans les cadres thématiques instaurés par Bourdin.
Ce dernier ailleurs accepte le
rôle de victime de cette campagne que la candidate FN aime à se donner - et ce
dans toutes les interviews et meetings qu'elle livre – puisqu'il rebondit sur
ces nouveaux sujets pour les valider, les réfuter, en relancer d'autres ou en
demander des précisions. Nous sommes donc ici dans un échange d'idées où la
balle rebondit dans les deux camps.
Malgré
tous ces échanges et la vitesse parfois à laquelle l'un rétorque à l'autre,
chacun des interlocuteurs garde ses idées et il n'y a aucune influence entre
les deux. Nous sommes dans une totale régularisation favorable au respect du
contrat de communication installé entre les deux personnes, chacun admettant
qu'il est présent dans cette situation énonciative pour échanger des idées
antithétiques. Marine Le Pen et Bourdin ont néanmoins leur propre mode de
discussion voire d'expression. Elle est plutôt dans l'exagération, l'emphase,
le détour parfois, lui est plutôt dans le vif, le court, le concis ;
et pourtant, nous assistons ici à l'exposition de deux personnalités
diamétralement opposées qui parviennent à s'écouter, échanger et se respecter.
Le contrat de communication est donc respecté sur l'ensemble de la séquence, mais nous pouvons tout de même remarquer un basculement dans l’extrait sur l'immigration que nous allons analyser. C'est d'ailleurs pour cela que nous l'avons choisi. Ils sont dans la discussion tout au long de la séquence, mais dans l'extrait étudié, nous verrons par l'analyse des actes interlocutifs et des formes d'interventions que Bourdin se laisse dépasser par ses idées et positions. C'est en ce sens qu’il finit par débattre avec elle pour imposer son point de vue, même s'il ne l'exprime pas ouvertement. Cependant, le débat ne virera pas à la dispute car dans leurs désaccords, ils savent rester à l'écoute l'un de l'autre.
DEUXIEME PARTIE
Étude détaillée d'un extrait :
La question de l'immigration (10:57 – 14:45).
1.
Le rôle :
Jean-Jacques Bourdin
incarne le rôle d’animateur de radio et surtout celui d’un journaliste qui
maîtrise très bien son domaine. Son rôle est de solliciter la parole de son
invité pour obtenir des informations.
L’invité Marine Le Pen a quant à
elle le rôle de l’interviewée. Elle adopte une posture de candidate aux
présidentielles très experte dans son domaine, qui maîtrise très bien son
sujet, et au caractère très fort. On voit dans cette séquence que rien ne peut
la déstabiliser.
2.
Domaine de pratique sociale :
Il s’agit d’une
émission de radio qui relève de l’actualité, elle est présentée sous forme
d’interview diffusant des informations relatives à l’actualité politique.
3.
Principes
On parle de quelque
chose de réel avec sérieux. L’invité Marine Le Pen donne son opinion et défend
sa position en s’appuyant sur des propos avérés. J.J Bourdin doit
jouer son rôle de journaliste qui pose des questions sérieuses et sollicite
l’invité à donner son avis avec vérité.
4.
Finalités
Pour J.J Bourdin, il
s’agit de faire de l’audience et d’informer les auditeurs sur certaines
thématiques concernant l’actualité politique.
La finalité de Marine le Pen
consiste à défendre sa position, convaincre et séduire les électeurs. Il s’agit
tout simplement de faire son travail de candidate aux élections
présidentielles.
5. Visées
discursives :
J.J
.Bourdin endosse bien son rôle de journaliste ; il pose des questions, son
but est de pousser l’autre à dire, de faire parler son invité afin d’obtenir
des informations. On peut aussi remarquer que dans certains passages, il
contredit Marine Le Pen à plusieurs reprises, mais elle ne se laisse jamais
déstabiliser. Elle répond d’ailleurs aux
questions de façon très claire et en ayant elle l’air très sûr des réponses
qu’elle apporte. Il s’agit pour elle de persuader Bourdin de ses arguments, et
de convaincre les électeurs de voter pour elle.
6. Orientations discursives :
J.J Bourdin tient un
discours informationnel, il pose des questions à son invité afin d’informer les
auditeurs sur son programme ; c’est un discours hétéro-centré et explicatif.
On peut considérer le discours
de Marine le Pen informationnel et
hétéro-centré lorsqu’elle parle de l’état de l’immigration en France et des
positions de ses adversaires politiques à ce sujet, mais aussi auto-centré
lorsqu'elle annonce son programme de restriction du solde migratoire.
Néanmoins, son discours reste explicatif.
7. Relation horizontale :
La relation entre
les deux interlocuteurs est de moins en moins cordiale. Dès le début de la
discussion, Marine le Pen est en désaccord total avec J.J Bourdin ; à
titre d’exemple, lorsqu’il introduit la question de
l’immigration : « Pourquoi la France est l’un des pays d’Europe
qui accueille le moins d’immigrés ? » - Marine Le Pen répond : « Ah non, ah
non non non c’est l’inverse ». Ce désaccord va devenir permanent dans
l’extrait et donc faire monter crescendo la tension entre les deux
interlocuteurs.
8. Relation verticale :
Au début, on note la
volonté de J.J Bourdin de se mettre sur un pied d’égalité avec son invité. Il
pose ainsi des questions auxquelles Marine Le Pen répond mais au bout d’un
moment, elle prend la parole et la monopolise et ne laisse plus Bourdin finir
ses questions. Elle prend alors une position haute, ce qui laisse à Bourdin la
position basse.
9. Coopératif ou conflictuelle :
La relation entre
Bourdin et Marine Le Pen était au départ basée sur la coopération, mais devient ici plutôt conflictuelle. On
peut voir dans cette séquence des passages où les deux interlocuteurs se
contredisent sans cesse. Nous sommes dans un vrai débat d’idées opposées. Mais
Marine Le Pen s’impose à chaque fois et ne se laisse jamais influencer. Malgré
un climat plutôt tendu, les deux interlocuteurs parviennent tout de même à
s’écouter.
10.
Temps de parole et nombre d’interventions :
Election 2012 CHEZ J.JB
|
J.JBOURDIN
|
Marine le Pen
|
Totale
|
Temps de parole
|
00:01:34
|
00:03:21
|
00 :04 : 55
|
Nombre d’intervention
|
21
|
26
|
47
|
Dans la prise parole, on
remarque que le temps le plus long revient à l’invité Marine Le Pen. En plus
d’accaparer le temps de parole, la candidate intervient davantage que
J.J.Bourdin.
11. Type de prise de parole :
Au début, Bourdin
respecte son rôle de journaliste en posant des questions, il prend donc la
parole. Il la donne ensuite à son invité. La parole est donc sollicitée pour
Marine le Pen qui attendait qu’on lui pose des questions, puis vers la fin, on
voit qu’elle la prend d’elle-même sans y être invitée. Elle enchaîne ses
réponses, coupe Bourdin et le laisse à peine achever ses questions.
12. Dimension dominante du discours :
Pour le journaliste J.J Bourdin, c’est
le logos, il nous parle de l’actualité,
il interroge son invité pour avoir des informations.
Pour Marine Le Pen, son discours
s’apparente au logos lorsqu'elle expose la situation de l'immigration en
France, et à l’ethos quand elle parle de
son programme et des mesures qu’elle a l’intention de prendre : « Moi
stop, je coupe les pompes aspirantes, j’arrête tout ce qui attire légalement ».
13. Actes informatifs autonomes
: « assertions » :
Les deux interlocuteurs apportent de l’information sur les
sujets de l’immigration en France, en s’appuyant sur des preuves,
chiffres, statistiques etc.
14. Actes sollicitants : questions/réponses :
J.J Bourdin pose des questions, il sollicite son invité
à prendre la parole. Dans cette séquence, Boudin interroge Marine Le Pen sur la question de l’immigration sur le
territoire Français.
Marine Le Pen quant à elle répond aux questions ; au
départ, on avait remarqué que la candidate attendait que le journaliste
l’invite à prendre la parole puis vers la fin, Marine devient plutôt prenante.
15. Actes
sollicitants :
Il y a une demande
de validation par une question de la part de Bourdin qui tente d'obtenir
l'accord de Marine Le Pen à propos de la chance de la France d'accueillir des
immigrés. Il n'obtient en réponse qu'un double désaccord de sa part « Ah
non, ah non non non » lorsqu'il lui demande ensuite pourquoi la France est
le pays en accueillant le moins, parfois même une absence de réponse, quand
elle répond sous un autre angle d'attaque (bien que la thématique reste la
même).
16. Actes traitants d'informations déjà
émises :
Toujours à propos
des immigrés, Bourdin réitère avec insistance (« tous les chiffres
disent ») le nombre d'immigrés présents en France, qui correspond à celui
du solde migratoire soit 60 000 (« deux cent trois mille encore une fois ce n'est
pas le solde migratoire, je le rappelle parce qu'il y a des étrangers qui
quittent la France chaque année, vous le savez bien Marine Le Pen ; non
mais parce qu'on dit toujours deux cent mille, deux cent mille, mais en fait
c'est pas ça » à 13:35). Marine Le Pen, en total désaccord, ne valide pas
une seule fois ses propos en réception et reste sur ses positions quant au trop grand
nombre d'étrangers entrant dans le pays selon elle, peu importe le nombre de
ceux qui repartent.
17. Actes gérant la rencontre :
Il n’y en pas dans
cet extrait. Le contact a déjà été établi au début de l'interview ;
l'extrait choisi nous plonge directement dans le vif du sujet : la
question de l’immigration.
18. Interventions problématisées
- directrices :
C'est Bourdin qui ouvre le domaine thématique de l'immigration. Le thème de
parole est lancé et si parfois Marine Le Pen répond, coupe ou prolonge Bourdin
avec ses digressions (par exemple lorsqu'elle mentionne l'aide médicale d’État,
la loi de 73, le questionnaire d'obtention de la naturalisation française), on
reste néanmoins en adéquation avec la thématique initiale.
- de relance par reprise : Bourdin revient sur les propos
dits par Marine Le Pen pour essayer de les retourner contre elle, ou bien pour
lui faire dire ce qu'il a envie d'entendre. La candidate revient également sur
les propos du journaliste pour y répondre, mais même s'il s'agit de
contre-propositions, elle parvient toujours à se les réapproprier pour servir
son argumentation.
- de relance par adjonction : Bourdin relance Marine Le Pen
par adjonction, pour rappeler à plusieurs reprises les chiffres de
l'immigration qu'il a annoncés à l'ouverture de la thématique. Il ne cesse de
revenir dessus. Ces adjonctions ne parviennent pas à la faire changer d'avis sur
le sujet, ni même à lui faire comprendre qu'elle se trompe avec les 200 000
immigrés présents selon elle en France (« quelle est la différence,
c'est-à-dire que vous avez des immigrés qui repartent et qui quittent la
France » soulignera Bourdin à 12:35).
- de relance par changement de focalisation :
Par ses réponses digressives aux questions de Bourdin, Marine Le Pen lance de
nouveaux sujets appartenant à cette même thématique de l'immigration (comme
évoqués précédemment : l'aide médicale d’État à 12:02, la croissance de
l'immigration depuis 73 à 12:39, et les questionnaires de naturalisation à
14:20), ce qui fait évoluer le débat. Celui n'avance ainsi
que par désaccords entre les locuteurs, mais de manière logique et déductive.
Cependant, il peut être étonnant de voir ici que c'est l'interviewée et non le
journaliste qui ouvre sur de nouveaux sujets de débat au sein de la thématique
de départ.
19. Interventions réactives :
Chacun des deux
réagit ainsi à un moment sur un sujet lancé par l'autre.
- Lorsque Marine Le Pen défend
l'idée que la France est le pays qui accueille le plus d'immigrés, elle cite
Eric Besson (11:10) en tant qu'argument d'autorité pour accréditer ses propos.
Bourdin réagit alors par une question, lui demandant s'il est sa référence en
matière d'immigration pour tenter de fragiliser son raisonnement et obtenir
d'elle un contre-sens. Mais Marine Le Pen ne se laisse pas déstabiliser. Elle
répond en parvenant à ancrer cette intervention dans sa propre argumentation
pour mieux la servir : « Il a été ministre de l'immigration, il
est bien placé pour savoir de quoi il parle ! ».
- A l'inverse, quand Bourdin
précise qu'il s'agit ici d'immigration régulière (11:47), Marine Le Pen
intervient avec une contre-assertion : « Ah oui parce que les immigrés
en situation clandestine on n'en strictement sait rien ! » dit-elle
avec ironie. En ce qui la concerne d'ailleurs, c'est l'ironie qu'elle utilise
pour essayer de démontrer que les propos de son interlocuteur n'ont pas de
sens.
- Ensuite, lorsque Marine Le Pen
énumère les candidats favorables à l'entrée d'immigrés en France, Bourdin la
coupe par une question pour compléter son assertion : « Et vous
stop ? Comment ? » (13:10).
- Enfin, Bourdin rappelle le
nombre du solde migratoire à 13:35. La candidate l'interrompt donc par
intervention réactive avec une contre-proposition : « Il y a
beaucoup moins d'étrangers qui quittent la France que d'étrangers qui y restent
ça c'est une certitude, trente mille régularisations de clandestins par
an ». Les interventions réactives s'enchaînant, on en arrive à des tours
de parole très élevés pour les locuteurs avec en revanche un temps de parole
très court pour le journaliste.
20. Interventions continuatives :
Aucune intervention continuative car ni Marine
Le Pen ni Bourdin ne prolongent l'intervention de l'un ou de l'autre après
l'avoir coupé.
21. Interventions saltatoires :
Aucune intervention saltatoire. Les deux
locuteurs se coupent en effet par interventions problématisées de relance par
adjonction, par reprise et changement de focalisation et aussi en particulier
par interventions réactives, mais ils ne s'ignorent pas. Leur parole ne sert,
qu'elle questionne le récepteur, valide ou invalide celle de l'émetteur, qu'à
nourrir le débat. De fait, nous n'entrons pas dans la dispute dans cette
interview.
22. Interventions non problématisées
Aucune intervention
non problématisée puisque nous sommes ici dans un débat où bien sûr Marine Le
Pen défend ses idées, ce qui est normal en période de campagne électorale. Mais
Bourdin, qui devrait, en tant qu'intervieweur, rester neutre, va pourtant
laisser sa propre opinion s'exprimer comme le montrent ses interventions
problématisées de relance par adjonction à propos du solde migratoire le
trahissant. On sent bien que s'il insiste, c'est parce qu'il n'est pas en
accord avec les idées de la candidate du FN à ce sujet, entre autres.
23. Actes de parole dominants
- de la sphère de l’information :
Les actes de paroles dominants de la sphère de l’information sont la
question pour J.J Bourdin qui sollicite l’information auprès de son invité, et
la réponse pour Marine Le Pen.
- de la sphère de l’évaluation :
Bourdin est dans la demande de validation dans cette séquence, mais
n’obtient que des réactions de désaccord de la part de Marine Le Pen. En effet,
ils ne partagent pas le même avis sur le fait que la France est le pays qui
accueille le moins d’immigrés, ni sur le nombre d’immigrés présents en France.
- de la sphère de l’interaction :
Les deux interlocuteurs ne sont donc pas d’accord dans leurs propos et
leur position qu’ils tentent
de défendre, mais ils acceptent tout deux de débattre pour échanger des idées
opposées. Les actes interlocutifs traitant d’information déjà émises avec
désaccord en réception sont donc dominants.
- de la sphère contractuelle :
Bourdin tente de poser des questions et des demandes de validation sans pouvoir aller au bout de ses phrases car Marine Le Pen l’interrompt et monopolise le temps de parole.
Bourdin tente de poser des questions et des demandes de validation sans pouvoir aller au bout de ses phrases car Marine Le Pen l’interrompt et monopolise le temps de parole.
- de la sphère actionnelle :
Il n’y a pas d’actes dominants relevant de la sphère actionnelle dans
cet extrait.
24. Synthèse
Bourdin ne reflète pas ici son image
habituelle de provocateur opposant. Il remplit son rôle de journaliste avec ses
questions, demandes de validations (qu’elles soient obtenues ou non) et
interventions de relances en prenant le temps d’écouter Marine Le Pen, même
s’il n’est pas du même avis. On sent néanmoins qu’il laisse ses convictions
personnelles prendre le dessus sur son statut de simple intervieweur à propos
du solde migratoire et de la chance pour la France d’accueillir des immigrés.
Quant à Marine Le Pen, elle réussit
ici à s’approprier le débat qu’elle domine. C’est elle qui est ici en position
haute en réagissant avec des désaccords qu’elle se réapproprie pour défendre
ses idées et mieux servir son argumentation. En effet, sa parole au début est
plutôt sollicitée, puis elle la prend comme le montrent les interventions
réactives mais aussi les interventions de relance par changement de
focalisation où elle aborde de nouveaux sujets au sein de la thématique initiée
par Bourdin. Et Bourdin la lui laisse. Elle ne se laisse pas déstabiliser par
le journaliste qui pourtant devrait lancer les sujets, elle parvient tout au
long de la séquence à mener le débat et à faire preuve de conviction.
CONCLUSION
Ainsi, nous pouvons conclure ce
travail en ouvrant sur une perspective présidentielle. Marine Le Pen dans cette
interview a su défendre son programme et ses idées, et ne s'est pas laissée
influencer par les légères provocations de Jean-Jacques Bourdin. Même si
celui-ci s'est montré moins virulent qu'à son habitude et que Marine Le Pen
l'attendait peut-être plus incisif, notamment parce qu'elle est la candidate
d'extrême droite, il n'en reste pas moins que le contrat de communication n'est
pas totalement remis en cause du point de vue du message. Il est établi que les
deux interlocuteurs échangeront des idées opposées dans un débat, s'étant mis
d'accord pour s'affronter sur un principe de régulation et défendre leur position
tout en ne se laissant pas influencer et en s'écoutant. Il y a de ce point de
vue symétrie peut-être pas dans les discours, mais dans la reconnaissance des
rôles endossés. Restant ainsi à l'écoute l'un de l'autre et rebondissant sur
les interventions de chacun, on reste dans une intercompréhension où les propos
gardent leur pertinence discursive mais contextuelle également.
Il est vrai que dans l'extrait sur l'immigration Marine Le Pen semble prendre le dessus, comme le prouvent le temps de parole ou ses relances par adjonction qui font évoluer le débat en ouvrant de nouveaux sujets au sein du même thème. C'est pourquoi le contrat de lectorat est lui plus difficile à valider du point de vue de la réception pour les habitués du Bourdin qui s'oppose, critique et accuse. Marine Le Pen se présente ici, dès le 19 mars, comme la figure forte de cette campagne présidentielle, mise à l'écart par ses adversaires, candidate de la patrie, celle qui n'a pas peur de révéler les vraies causes de l'état actuel de la France, candidate redoutée parce que justement elle est l'unique à combattre ce système. Au-delà de ses talents de rhétorique face au journaliste, cette posture adoptée de candidate redoutée et mise à l'écart semble aujourd'hui s'être confirmée. Ayant atteint près de 18% des voix au premier tour, considérées comme un celles d'un vote « de crise et de protestation », il semblerait qu'il fallait effectivement la redouter. Son programme, ses idées, ses stratégies de discours ont fonctionné et les Français ont cru en elle. Dans cette interview avec Bourdin, elle est sur la défensive, répond en restant uniquement sur ses positions, ne flanche jamais et s'approprie toutes les interventions de tout type pour servir son argumentation. Nous pouvons alors prétendre que c'est un peu cette Marine Le Pen que les auditeurs attendaient et ont voulu pousser sur le devant de la scène politique. Il n'est peut-être donc pas étonnant que Bourdin se montre à l'écoute ; et en ce sens, on peut valider le contrat de communication instauré entre Bourdin et Marine Le Pen, mais aussi le contrat de lectorat passé entre l'émission de Bourdin et ses auditeurs/spectateurs.
Il est vrai que dans l'extrait sur l'immigration Marine Le Pen semble prendre le dessus, comme le prouvent le temps de parole ou ses relances par adjonction qui font évoluer le débat en ouvrant de nouveaux sujets au sein du même thème. C'est pourquoi le contrat de lectorat est lui plus difficile à valider du point de vue de la réception pour les habitués du Bourdin qui s'oppose, critique et accuse. Marine Le Pen se présente ici, dès le 19 mars, comme la figure forte de cette campagne présidentielle, mise à l'écart par ses adversaires, candidate de la patrie, celle qui n'a pas peur de révéler les vraies causes de l'état actuel de la France, candidate redoutée parce que justement elle est l'unique à combattre ce système. Au-delà de ses talents de rhétorique face au journaliste, cette posture adoptée de candidate redoutée et mise à l'écart semble aujourd'hui s'être confirmée. Ayant atteint près de 18% des voix au premier tour, considérées comme un celles d'un vote « de crise et de protestation », il semblerait qu'il fallait effectivement la redouter. Son programme, ses idées, ses stratégies de discours ont fonctionné et les Français ont cru en elle. Dans cette interview avec Bourdin, elle est sur la défensive, répond en restant uniquement sur ses positions, ne flanche jamais et s'approprie toutes les interventions de tout type pour servir son argumentation. Nous pouvons alors prétendre que c'est un peu cette Marine Le Pen que les auditeurs attendaient et ont voulu pousser sur le devant de la scène politique. Il n'est peut-être donc pas étonnant que Bourdin se montre à l'écoute ; et en ce sens, on peut valider le contrat de communication instauré entre Bourdin et Marine Le Pen, mais aussi le contrat de lectorat passé entre l'émission de Bourdin et ses auditeurs/spectateurs.