Jean-Jacques Bourdin et Jean-Luc Melenchon


Bourdin 2012 : Jean-Luc Mélenchon 


Le choix de cette séquence dans l’interview de Jean-Luc Mélenchon par Jean-Jacques Bourdin a été motivé par plusieurs paramètres. Tout d’abord, d’une manière générale,  on y voit les deux hommes, connus pour leur facilité de parole et leur forte personnalité s’affronter dans une joute oratoire. Tout en étant assez virulente, leur joute n’est pas conflictuelle et il en ressort même une pointe de complicité et de jeu rhétorique qui fait glisser cette séquence vers le théâtre et le comique. Illustrant cette confrontation au sommet et le caractère similaire des deux hommes, nous avons pu observer plusieurs expressions s’inscrivant dans une volonté partagée de rester sur un même pied d’égalité.
La séquence choisie est aussi intéressante pour les sujets qui y sont évoqués : cette émission, avant le premier tour de la présidentielle, est l’occasion pour les candidats de venir présenter leur programme, mais ici, c’est sur l’hypothèse d’une victoire de ses concurrents (F. Hollande et N. Sarkozy) que Jean Luc Mélenchon est appelé à répondre. C’est donc en opposition avec les autres candidats que l’homme politique se définit.
En plus de l’aspect explicatif du discours général de l’émission, on assiste à un virage vers la sphère narrative lorsque le candidat évoque sa jeunesse combattive au sein de la gauche.
Encore un autre élément qui a attiré notre attention : les rôles semblent s’inverser pendant ces trois minutes entre celui qui pose les questions et celui qui y répond et on voit que cet état de fait n’échappe pas à nos locuteurs qui jouent de cela.
 C’est donc pour toutes ces hybridations des genres et des pratiques discursives : l’inversion des rôles, le glissement entre les sphères explicatives et narratives, l’exhibition des règles du contrat de communication « c’est moi qui pose les questions, et c’est vous qui y répondez » (Jean Jacques Bourdin), que cette séquence nous est apparue comme étant la plus riche et pertinente de l’émission.



II. Description de la séquence par la grille d’analyse
Bourdin 2012 – invité Jean-Luc Mélenchon – 16 avril 2012-04-30
Bourdin : Est-ce que ça va mal se passer si François Hollande est élu Président de la République ?
Mélenchon : Je n’en sais rien mais d’abord si…(Bourdin : ah mais si c’est vous, oui…)et puis si c’est moi vous allez voir ça va chauffer ! Nous ne nous laisserons pas faire !
B : Oui, oui, vous allez me dire ce que vous allez faire si vous êtes élu Président de la République…Premier Ministre de François Hollande…Non, c’est inenvisageable ça ?
M : Non j’ai déjà dit que…
B : Ni ministre ?
M : Bah je ne crois pas, non non non…
B : Pas d’accord de gouvernement. Vous avez dit non à tout cela.
M : Bah écoutez M. Bourdin, là (Bourdin : Oui) vous me prenez comme ça là euh…
B : Bah je vous pose des questions moi!
M : Oui oui mais j’entends bien que vous me posez la question et j’ai l’intention d’y répondre! Mais ceci est toujours la même hypothèse…Pourquoi c’est lui qui l’emporte ? Pourquoi…le premier tour il n’a pas eu lieu. Maintenant vous me…(Bourdin : oui oh !) il y a une chose…M. Bourdin il y a une chose qui sera simple de toute façon.
B : Allez ! Qu’est ce qui va…oui ?
M : Son projet et le mien ont un point commun.
B : Ils sont incompatibles.
M : Non ! (Bourdin : ah bon !) Un point commun : pour qu’ils commencent à se réaliser il faut faire perdre Nicolas Sarkozy !
B : Oui
M : Donc nous allons nous employer à faire perdre Nicolas Sarkozy
B : D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy… (Mélenchon : Mais qui a dit des choses comme ça ?) Franchement ! Bah beaucoup de commentateurs, beaucoup…
M : Ah d’accord ! D’amis du parti socialiste embusqués (Bourdin : Mais vous ? Vous vous posez la question ?...) dans les journaux et qui m’insultent…
B : Vous vous posez la question ?
M : Mais bien sûr que non ! De quel droit ces gens…
B : Pour vous c’est très clair ?
M : Mais écoutez…de quel droit ces gens qui ont toujours été des larbins des puissants, des cire-pompes viennent me donner des leçons à moi (Bourdin : mais mais à qui pensez vous ?) écoutez-moi Bourdin ! Ecoutez-moi ! (Bourdin : mais à qui pensez vous…Mélenchon !) Écoutez-moi Bourdin ! Vous me dites des noms… (Bourdin : je ne sais pas je vous pose la question !) non non vous ne p…écoutez-moi Bourdin (Bourdin : Mais…) Vous vous taisez ? C’est vous ou c’est moi qui parle ? Allez-y…
B : Bah c’est moi qui pose les questions ! C’est vous qui répondez !
M : Alors vous me laissez répondre !
B : Alors Allez y. Allez y.
M : Bon ! Vous venez de dire M. Bourdin (Bourdin : Mmh.) de nombreux commentateurs, dites des noms s’il vous plaît ?
B : Bah je ne sais pas (M : Vous ne savez pas !) j’ai lu, j’en ai lu tellement ! Moi je ne les connais pas, je ne les fréquente pas, je ne les vois pas !
M : Voilà ! (Bourdin : Bon !) Quand je vous réponds (Bourdin : Alors !) ce sont des larbins et des cire-pompes (Bourdin : Alors attendez !) vous prenez votre air indigné par amitié corporative…
B : Mais je n’ai aucune amitié corporative ! Aucune !
M : Alors M. Bourdin laissez moi répondre ! (Bourdin : ok !) vous avez posé une question, est ce que vous me laissez répondre oui ou non ?
B : Allez y ! Répondez !
M : Bien ! Je vous réponds ! Voilà ! Je vous dis que tout ces gens (Bourdin : Oui !) ont un bilan de vie et moi j’en ai un (Bourdin : Ne me prenez pas mes notes Jean Luc Mélenchon ! [Rire] Nan nan parce que j’en ai besoin !). Ils ont un bilan de vie et moi j’ai le mien. Je suis un homme de gauche depuis l’âge de 16ans ! Je, j’ai participé à tous les combats contre toutes les dictatures dans le monde (Bourdin : mmh) et contre tout les gouvernements de droite.
B : on y reviendra oui !
M : On y reviendra si je veux !
B : Oui, enfin non, c’est moi qui pose les questions (Mélenchon : bah oui, bah on verra si j’ai envie d’y répondre !) et c’est vous qui y répondez ! Je poserais la question !
M : Et donc, j’ai participé toute ma vie à ces batailles contre la droite (Bourdin : mmh !) d’accord ? Au nom de quoi quatre petits cire-pompes qui sont en train de préparer la suite de leur carrière vont mettre en cause mon appartenance intellectuelle à défaut d’être viscérale, mais elle est aussi viscérale, à cette gauche à laquelle je crois, vous comprenez ?
B : Mais alors vous avez qualifié…
M : Donc M. Bourdin ! Écoutez-moi bien ! (Bourdin : Oui, finissez !) Nous allons faire perdre M. Sarkozy, non pas parce que c’est M. Nicolas Sarkozy, mais parce que c’est la droite thatchérienne, c’est un monde fini ! Et que si cet homme est reconduit à la tête de l’Etat, il nous a annoncé la suite du programme ! Après nous avoir tapé nos retraites, il va nous taper l’assurance et tout le système de…de…de sécurité sociale ! Plus la destruction des syndicats et de la représentation des ouvriers dans les entreprises qu’il nous a annoncée l’autre jour. Par conséquent, j’ai toutes les bonnes raisons de vouloir, dans tout les cas, assurer sa défaite. 


Média : RMC Bourdin 2012
Jean-Jacques Bourdin
Jean-Luc Mélenchon
Domaine de pratique social


Principes
Magazine d’actualité politique en période de campagne sous forme d’entretien

Réalité, vérité, sérieux
Finalités
Faire de l’audience
Faire connaître la vérité
Faire connaître le candidat et son programme aux auditeurs
Etre exposé médiatiquement
Défendre ses idées politiques
Etre élu président

Visées discursives
Faire parler son invité
Convaincre
Rôle
Journaliste/animateur/interviewer
Homme politique chef de parti (front de gauche) candidat à l’élection présidentielle
Problématisation de l’animateur
-Est-ce que ça va mal se passer si François Hollande est élu Président ?
- D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy…

Orientations discursives
Hétéro centrée/ego centrée
Hétéro centrée de part son rôle de journaliste.
Mais en situation, son orientation discursive est amenée se recentrer sur lui-même quand il doit se justifier « Moi je ne les connais pas, je ne les fréquente pas, je ne les vois pas ! »

Ego centrée de part sa finalité discursive dans l’émission et hétéro centrée de part sa visée discursive, il doit convaincre les auditeurs et décrédibiliser ses concurrents
Narratif ou explicatif
Explicatif
Explicatif : « Nous allons faire perdre M. Sarkozy, non pas parce que c’est M. Nicolas Sarkozy, mais parce que c’est la droite thatchérienne, c’est un monde fini ! »

Narratif : « Je suis un homme de gauche depuis l’âge de 16ans ! Je, j’ai participé à tous les combats contre toutes les dictatures dans le monde et contre tout les gouvernements de droite. »
Relations horizontales
Relation horizontale quasiment égalitaire du fait de la personnalité et le fort caractère des deux hommes qui sont aussi têtu l’un que l’autre.
On passe d’un vouvoiement distancié et poli « M. Mélenchon »/  « M. Bourdin » à une proximité partagée « écoutez-moi Bourdin ! »/  « mais à qui pensez vous…Mélenchon ! »
Relations verticales

Institutionnellement Bourdin est plus haut que Mélenchon dans le cadre de cette émission puisqu’il est le poseur de question et c’est lui qui choisi la direction du discours. Cependant, Mélenchon va continuellement contre cette verticalité puisqu’il affirme à plusieurs reprises être lui aussi décideur de l’orientation du débat : « On y reviendra si je veux ». Quand l’un d’eux cherche à prendre le dessus l’autre va immédiatement chercher à rééquilibrer le rapport, exemple, dès que JL Mélenchon utilise l’invective « Bourdin », l’animateur reprend cette familiarité et l’appelle « Mélenchon ».
Phénomène d’inversion des rapports verticaux quand Mélenchon pose les questions à Bourdin : « Mais qui dit ça ? »
Bourdin tente de rappeler son rôle « c’est moi qui pose les questions c’est vous qui répondez »
Coopératif ou conflictuel ?
Cet échange est conflictuel dans les propos échangés qui sont  quelque peu virulents mais leur amusement visible à confronter leur rhétorique fait glisser la relation vers une coopération.
Temps parole
≈50s
≈ 2’13
Nombre de prise de parole
45 : rappelons que nombre de ces prises de parole ne servent qu’à nourrir la fonction phatique du langage.
28
Type de parole : prenant sollicité, autorisé
- Autorisant « allez y, répondez »
- Sollicitant « Est-ce que ça va mal se passer si François Hollande est élu Président de la République ? »

Cependant, il faut bien noter que ces paramètres de prise de parole sont conditionnés par la rhétorique et le théâtre politique
Autorisé (demandeur) : « vous avez posé une question, est-ce que vous me laisser y répondre oui ou non ?»
« Est-ce que je peux vous répondre ? »

Dimensions dominantes du discours : logos/ethos/pathos
Ethos : « Mais je n’ai aucune amitié corporative ! »

Logos : « D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy… »

Pathos « Je suis un homme de gauche depuis l’âge de 16ans ! Je, j’ai participé à tous les combats contre toutes les dictatures dans le monde » / « mon appartenance intellectuelle à défaut d’être viscérale, mais elle est aussi viscérale »

Ethos : « cette gauche à laquelle je crois »

Logos : « Nous allons faire perdre M. Sarkozy, non pas parce que c’est M. Nicolas Sarkozy, mais parce que c’est la droite thatchérienne, c’est un monde fini ! »
Actes informatifs autonomes : assertions
« Oui, oui, vous allez me dire ce que vous allez faire si vous êtes élu Président de la République »

« on y reviendra oui ! » : en parlant de la jeunesse combattive de Mélenchon
« Son projet et le mien ont un point commun [...] pour qu’ils commencent à se réaliser il faut faire perdre Nicolas Sarkozy !»


Actes sollicitant : questions/réponses
Questions
Réponses
« Est ce que ça va mal se passé, si F Hollande est élu président de la république ? »




« Premier Ministre de François Hollande…Non, c’est inenvisageable ça ? »
« Ni ministre ? »


« Vous vous posez la question ? »


« Pour vous c’est très clair ? »
« Je n’en sais rien mais d’abord si…et puis si c’est moi vous allez voir ça va chauffer ! Nous ne nous laisserons pas faire ! »


« Non j’ai déjà dit que… »


« Bah je ne crois pas, non non non… »

« Mais bien sûr que non ! De quel droit ces gens… »


Réponses

« Bah beaucoup de commentateurs, beaucoup… »

« Bah c’est moi qui pose les questions ! C’est vous qui répondez ! »
Questions

« Mais qui a dit des choses comme ça ? »

« Vous vous taisez ? C’est vous ou c’est moi qui parle ? »

Actes sollicitant :
Demande de validation/validation + accord/désaccord
« B : Premier Ministre de François Hollande…Non, c’est inenvisageable ça ?
M : Non j’ai déjà dit que…
B : Ni ministre ?
M : Bah je ne crois pas, non non non…
B : Pas d’accord de gouvernement. Vous avez dit non à tout cela.
M : Bah écoutez M. Bourdin, là (Bourdin : Oui) vous me prenez comme ça là euh…
B : Bah je vous pose des questions moi!
M : Oui oui mais j’entends bien que vous me posez la question et j’ai l’intention d’y répondre! »

On assiste ici à un échange rythmé demande de validation/validation accord et désaccord.

Demande de validation : « D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy… »
Validation désaccord «Pourquoi…le premier tour il n’a pas eu lieu»

Désaccord « Non non non » (au sujet des projets incompatibles)

Demande de validation « Ah d’accord ! D’amis du parti socialiste embusqués dans les journaux et qui m’insultent… »

Demande de validation : « d’accord ? » « vous comprenez ? »
Mise en lumière du contrat de communication
« Bah je vous pose des questions moi! »
« Bah c’est moi qui pose les questions ! C’est vous qui répondez ! »
« on y reviendra oui ! »
« Oui, enfin non, c’est moi qui pose les questions et c’est vous qui y répondez ! Je poserais la question ! »
« oui mais j’entends bien que vous me posez la question et j’ai l’intention d’y répondre! »
« Alors vous me laissez répondre »
« Alors M. Bourdin laissez moi répondre ! vous avez posé une question, est ce que vous me laissez répondre oui ou non ? »
« Bien ! Je vous réponds ! Voilà ! »
« On y reviendra si je veux ! »
« bah oui, bah on verra si j’ai envie d’y répondre ! »
Actes traitant d’informations déjà émises : validation, réception, itération, accord, désaccord
Désaccord : « Je n’ai aucune amitié corporative. »

Réception : « on y reviendra »


Désaccord : « Mais ceci est toujours la même hypothèse…Pourquoi c’est lui qui l’emporte ? »

« oui mais j’entends bien que vous me posez la question et j’ai l’intention d’y répondre! » validation/réception + promesse de réponse

Validation désaccord : « on y reviendra si je veux »
Interventions problématisées directrices
- « Est-ce que ça va mal se passer si Hollande est élu président de la république ? »

Interventions problématisées de relance par reprise
« Oui vous allez me dire ce que vous aller faire si vous aller être président » (décale dans le futur la  demande de réponse))
Ah d’accord, d’amis du parti socialiste embusqués dans les journaux (il finit la phrase du journaliste – intervention problématisée hétéro continuative)
Interventions problématisées de relance par adjonctions
« D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy »
« Vous venez de dire de nombreux commentateurs, dites des noms s’il vous plait »
Interventions problématisées de relance par changement de focalisation

« Mais ceci est toujours la même hypothèse…Pourquoi c’est lui qui l’emporte ? »
« Je n’en sais rien mais d’abord si… et puis si c’est moi vous allez voir ça va chauffer ! »
« Son projet et le mien ont un point commun[...]
pour qu’ils commencent à se réaliser il faut faire perdre Nicolas Sarkozy ! »
Interventions réactives
L’échange du début sur la possibilité d’un accord politique avec François Hollande

Assertion : « ils sont incompatibles » (intervention problématisé hétéro continuative)

Réponse : « certains commentateurs politiques »
Question : « Mais qui dit ça ? » : fait s’inverser les rôles.
Interventions continuatives


Interventions saltatoires


Interventions non problématisées
Ne me volez pas mes notes
Je vous ai posé une question
Ecoutez-moi, écoutez-moi…
Laissez-moi parler, je vais y répondre
Actes de paroles dominants de la sphère de l’information
Rappelle les dires de Mélenchon dans d’autres médias : coalition avec hollande «  vous l’avez dit ça »
Confirme (non je ne veux pas être avec Hollande)
Explication : pourquoi il va faire perdre Sarkozy.
Information sur les reformes et projets de sarko : ces information sont en réalité dans la sphère de l’évaluation.
Actes de paroles dominants de la sphère de l’évaluation

 « de quel droit ces gens qui ont toujours été des larbins des puissants, des cire-pompes viennent me donner des leçons à moi »

« Quand je vous réponds ce sont des larbins et des cire-pompes vous prenez votre air indigné par amitié corporative…»

« Au nom de quoi quatre petits cire-pompes qui sont en train de préparer la suite de leur carrière vont mettre en cause mon appartenance intellectuelle à défaut d’être viscérale, mais elle est aussi viscérale, à cette gauche à laquelle je crois, vous comprenez ? »

- Information sur les reformes et projets de Sarkozy : ces information sont en réalité dans la sphère de l’évaluation.
Actes de paroles dominants de la sphère de l’interaction
Défier : «  je poserais la question »
Défier :
« On en parlera si j’ai envie d’en parler. »

 « Je répondrais si j’ai envie de répondre »
Actes de paroles dominants de la sphère contractuelle
C’est moi qui pose les questions c’est vous qui répondez
Je vous pose une question : demande de validation et rappel de question
On y reviendra
à Le métadiscours
vous vous taisez ou c’est moi qui parle ?
J’entends bien je vais vous répondre : validation/réception – promesse de réponse
on y reviendra si je veux
je répondrai si j’ai envie de répondre.
Actes de paroles dominants de la sphère actionnelle
Vouloir faire parler Mélenchon/ Créer une ambiance vive sur le plateau/Vouloir avoir de l’audimat.
Vouloir faire échouer Sarkozy

Vouloir faire adhérer les auditeurs à ses idées.




III. Mise en perspective critique et comparative

Bourdin est un animateur réputé pour son franc-parler et pour maîtriser véritablement ses sujets. Il impressionne généralement les candidats. Ce qui est intéressant de noter dans cet extrait que nous avons choisi, c’est le fait que Mélenchon, le candidat invité, ne fait pas ressortir cette idée qu’il est impressionné. Justement, comme nous l’avons explicité plus tôt dans ce dossier, il y a un jeu entre les deux locuteurs pour maintenir un rapport d’égalité, quand l’un emploi seulement le nom de famille de l’autre, le second répond sur le même ton, on garde les même règles. Cet échange est donc différent de ce que nous propose d’habitude Bourdin dans son émission Bourdin 2012 sur RMC.

Mélenchon a compris le contrat de communication, et son franc-parler lui donne une certaine légitimité face à Bourdin qui est lui aussi connu pour ce même trait de caractère. Les auditeurs vont s’attendre à ce type d’échange, les deux protagonistes respectent donc le contrat de communication supposé selon la définition de Patrick Charaudeau. Et ce, contrairement à l’étude réalisé sur Bourdin et Nadine Morano lors du premier semestre, où l’intervenante était quelque peu « bousculée » par Bourdin.

Autre fait intéressant à souligner, l’inversion des rôles. A contrario de Nadine Morano dans l’émission du 5 janvier 2012, Jean-Luc Mélenchon ne se fait pas « épinglé » par Bourdin sur certains sujet délicat. Bourdin va bien entendu essayer, surtout sur sa volonté de faire perdre Nicolas Sarkozy, néanmoins, c’est le candidat invité qui va retourner la situation en posant lui-même des questions à Bourdin. Le rapport s’inverse entre questionneur et questionné. En outre, Mélenchon arrive à prendre du recul face à la situation et même à déstabiliser Bourdin (« Mais ne me volez pas mes notes ! ») ce que Morano n’avait pas su faire. On à l’impression dans cet échange de 3 minutes que c’est Mélenchon qui gère le dialogue (« On y reviendra si je veux »), propos tout de même à nuancer, c’est Bourdin qui mène son émission et il arrive à faire dire ce qu’il voulait faire dire au candidat invité.

    En ce qui concerne la déontologie journalistique, peut-on dire que Bourdin va trop loin et est trop incisif dans ses propos ? L’exemple de cet extrait nous montre que non. Bourdin va chercher l’information tout en taisant ses sources (« je ne les connais pas, je ne les fréquente pas ») et en étayant ses interviews de recherches préalables. Mais le rôle d’un journaliste n’est-il pas d’aller chercher le problème pour l’exposer au monde. Cependant, comme on le notait précédemment, il est pertinent de remarquer que Mélenchon retourne les rôles dans cet extrait. Nadine Morano, elle, subit ce malmenage causé par la « recherche journalistique de la véracité » alors que Mélenchon essaye de la tourner à son avantage.
  
      On observe l’absence d’interventions continuatives ou saltatoires dans cet échange : chacun des locuteurs laisse l’autre s’exprimer, ou lorsqu’ils se coupent, chacun reprend le début de sa phrase, fournissant à l’auditeur le moyen de toujours entendre des phrases complètes :  ceci s’insère dans notre observation de départ qui est : Bourdin et Mélenchon même s’ils sont virulents, se respectent l’un l’autre et tout en jouant à un jeu rhétorique laisse une place importante à la compréhension/perceptibilité du discours.
  
   Dans cet extrait Mélenchon se définit en opposition avec les deux candidats que son Hollande et Sarkozy, en reconnaissant à Hollande son objectif de faire perdre Sarkozy (mais en remettant en question sa possible élection) et en rappelant à l’auditeur les erreurs commises par Sarkozy durant son mandat. Il crédibilise sa présence dans la campagne par son expérience et son passé actif dans la gauche.

      Nous observons que d’un point de vue sémantique cette séquence forme une boucle, puisqu’elle commence par l’hypothèse d’une victoire d’Hollande pour se terminer sur la certitude d’une défaite de Sarkozy. On pourrait voire la conversation raccourcie ainsi :

Bourdin : « Est-ce que ça va mal se passer si François Hollande est élu Président de la République ? 
Mélenchon : « Son projet et le mien ont un point commun. […] pour qu’ils commencent à se réaliser il faut faire perdre Nicolas Sarkozy !
B :  D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy… 
M :  Nous allons faire perdre M. Sarkozy, non pas parce que c’est M. Nicolas Sarkozy, mais parce que c’est la droite thatchérienne, c’est un monde fini ! Et que si cet homme est reconduit à la tête de l’Etat, il nous a annoncé la suite du programme ! Après nous avoir tapé nos retraites, il va nous taper l’assurance et tout le système de…de…de sécurité sociale ! Plus la destruction des syndicats et de la représentation des ouvriers dans les entreprises qu’il nous a annoncée l’autre jour. Par conséquent, j’ai toutes les bonnes raisons de vouloir, dans tout les cas, assurer sa défaite. » 

En somme la réelle réponse de Mélenchon à la question « et si c’était Hollande » est « du moment que ce n’est pas Sarkozy », et tout au long de ces 3 minutes le candidat frontiste s’emploie à appuyer son argumentation dans ce sens.

Il pourrait apparaitre dans cet extrait un manque informatif de fond, cette séquence contient en effet beaucoup de méta discursif. Un travail d’analyse discursive complet et collectif ne pourrait se passer de cette dimension rhétorique et méta discursive s’il veut prétendre à répondre à un maximum de critères analytiques. Aussi nous apportons notre pierre à l’édifice en donnant à voir une saynète qui se place comme un miroir satirique face aux jeux de langage (malléables, illusoires et risqués) que sont  l’analyse de discours et le débat politique.



IV. Mise en perspective et comparaisons avec les autres analyses réalisées 


1.      Jean-Jacques Bourdin :

L’émission avec François Hollande a un caractère spécial puisqu’elle est apparue lors de l’affaire Merah. Donc l’aspect « campagne présidentielle » est mis de côté. Ce qu’il ne fait pas avec Mélenchon, Bourdin le fait avec Hollande : aborder l’identité nationale (ce qui reste logique dans le contexte de l’affaire Merah). Nos camarades nous ont signalé qu’il n’y avait pas de jeux rhétoriques entre les deux locuteurs. Nous pouvons donc confirmer que l’attitude de Bourdin varierait donc en fonction de l’interlocuteur et en fonction du contexte de l’enregistrement (ambiance générale en France détendue ou non). Par contre ce qui nous rapproche de l’analyse Bourdin/Hollande serait un acte locutif de Bourdin qui consiste à rapporter un témoignage extérieur sans rajouter de commentaire et attendre que son invité en déduise une question et y réponde. Bourdin rapporte à Hollande de témoignage sur l’affaire Merah, et le socialiste en déduit des questions auxquelles il répond et Bourdin le laisse parler. Nous observons le même phénomène avec Mélenchon : « D’ailleurs certains se demande si vous avez vraiment envie de faire perdre Nicolas Sarkozy… ». On comprend bien par la vivacité de la conversation qui suivra cet assertion sans commentaires, qu’il s’agissait bien là d’une question déguisée produite pour faire parler le candidat.

   Lorsque Bourdin reçoit Nicolas Sarkorzy, il aborde la question du nombre de mort de l’armée française en Afghanistan. Son invité élude la question et Bourdin s’acharnera à la reposer tant qu’il n’aura pas eu sa réponse. On retrouve ici le caractère et le personnage Bourdin tel qu’il a été définit par les dossiers du premier semestre et par l’observation collective. Il est intéressant de remarquer que dans notre dossier il ne se passe pas ce phénomène. Bien au contraire, toujours dans une perspective d’égalité nous avons observé que Jean Luc Mélenchon pose plusieurs fois la même question au journaliste et ne semble pas vouloir le laisser se défiler et vice versa. Mélenchon : « Mais qui a dit des choses comme ça » / « de nombreux commentateurs, dites des noms s’il vous plaît ? » - Bourdin : « mais mais à qui pensez vous ? »/ « mais à qui pensez vous…Mélenchon ! ». Finalement aucun des deux n’aura de réponse à sa question. On constate ici que leurs forces discursives sont égales donc s’annulent.

   Étonnamment, lorsque c’est Marine Le Pen qui est invitée, Bourdin la laisse s’exprimer et ne la coupe pas, alors que l’interaction avec Mélenchon est constante. Nous basant sur les propos de nos camarades, nous émettons l’hypothèse que si Bourdin laisse parler Marine Le Pen, c’est aussi pour mieux la connaître et donc par la suite mieux savoir contredire ses arguments.

2.      Jean-Luc Mélenchon

   Tandis que la rencontre entre les deux caractères Bourdin/Mélenchon a provoqué une alchimie positive, ce type de confrontation d’esprit, comme toujours dans les interactions humaines, peut envoyer la conversation vers l’alchimie inverse. C’est donc avec fureur que Jean Luc Mélenchon a quitté le studio de Jean Michel Aphatie (RTL). Nous observons donc que quelque soit son interlocuteur, si celui-ci est aussi « têtu » que lui, Jean Luc Mélenchon donne au public, un spectacle toujours emporté.

   Sans surprise, la conversation avec Arlette Chabot se déroule sans problèmes. Nous retrouvons cependant une analogie avec notre analyse, qui est la suivante : Mélenchon tente de ne pas trop s’étendre sur l’image du communiste révolutionnaire qui le suit depuis tant d’année : 

« M : Je suis un homme de gauche depuis l’âge de 16ans ! Je, j’ai participé à tous les combats contre toutes les dictatures dans le monde et contre tout les gouvernements de droite.
B : on y reviendra oui !
M : On y reviendra si je veux ! »